Octobre/Novembre

Samedi 1er octobre
Le monde tricote ses tragédies et les médias picorent.
Le ferry Estonia reprend le flambeau des funestes journées portes ouvertes. Des dizaines de milliers de tonnes d'eau s'engouffrent dans l'accueillante enceinte. En moins de cinq minutes, la surcharge entraîne quelques centaines de passagers par 90 mètres de fonds glacés. Un charnier aquatique de Suédois, peuple qu'instinctivement j'affectionne. Mon anonymat ne m'empêche pas de m'associer au chagrin de tous les proches et amis des noyés.
Haïti, loin des niaiseries paradisiaques, honore la tradition de la passation de pouvoir par le sang. Les angéliques G.I.'s n'y peuvent rien. Le savant dosage de l'interventionnisme américain dans la lutte des pro et anti Aristide révèle une auréole diablement cornée.
A noter une entrevue avec Jean-Jacques P. à Valenciennes. Ce professeur collabore aux services culturels de la mairie et s'est livré à moi un peu plus qu'auparavant. Son maître à penser n'est autre que le cataclysmique Léon Bloy, notamment avec son Exégèse des lieux communs et Le Salut par les Juifs. [...]
Dans son bureau au plafond haut et au fouillis prononcé, il me précise son antipathie primaire pour l'échevelé Jean-Louis Borloo, que je croiserai quelques heures plus tard, en compagnie du préfet. D'une intelligence certaine, le député-maire choque le grincheux P. par ses méthodes de conquête du pouvoir et par les sources douteuses de sa manne. Il me rapporte les propos de celui qui avait été chargé par l'avocat d'affaires de recruter dans la ville le futur Conseil municipal. Une seule directive : « Trouve-moi tous les aigris, les arrivistes, les amers, ceux qui ont une revanche à prendre ». Le chargé de mission fait sans rechigner la besogne, mais il est écarté de toute responsabilité lors de la distribution des susucres. La passion du bougre se teinte d'une haine compréhensible, allant jusqu'à vouloir constituer une association des anti-Borloo. Flop s'en suit. Pas besoin d'être un fin analyste de l'âme humaine pour déceler une probable part de calomnie dans les propos rapportés.
Autre zone douteuse chez l'élu : l'origine des fonds millionnaires qui nourrissent çà et là ses ambitions. Certains journalistes, dans les fameux milieux autorisés de la presse, avancent le méfait du blanchiment d'argent de la drogue. Presque un classique du genre politico-mafieux. Rien n'est publiquement dénoncé par peur des représailles physiques. Entre la fantasmagorie des pisse-copie envieux et les trames interlopes d'une arrivée politique fulgurante, je laisse aux spécialistes impliqués le soin de décrypter cette tambouille.
Toujours amusant de découvrir les douteux dessous d'une commune et de son administration.

Dimanche 2 octobre
Hier soir, repas épique. Sally, avec deux Valiums dans le ventre et un Martini ingurgité, ne peut écouter les vérités de Heïm. D'un coup, la voilà qui, de la position assise, ferme les yeux et tombe à terre, la respiration bruyante. Peu après le ronflement règne sous la table.
Je sors alors avec Heïm respirer l'air du dehors, abasourdi par ce comportement.

Samedi 8 octobre
25 ans depuis deux jours : chienne de vie.
Toujours mortifère, l'actualité. Les deux derniers faits-divers érigés par Big Média offrent un surcroît d'irrationnel. Quelques coups de griffe à la civilisation, quelques cadavres pour l'émotion populaire, le cogito du curieux surchauffe ; moi, comme quelques centaines de maniaques, je noircis le papelard dispo.
Acte I : brève épopée meurtrière d'un couple révulsé des fibres, l'âme injectée de haine. Les french Bonnie and Clyde transcendent leur minable casse en fulgurante perdition. Course poursuite dans Paris, feu sur les poulets, trois blessés à la balle pour sangliers, un chauffeur de taxi tué, et les politiques qui s'émeuvent. Le rodéo a ses victimes dans les rangs de la force publique comme dans le duo des anarcho-tueurs. L'homme a flanché à l'hôpital.
Reste le petit bout de jeune fille, émouvante par ses traits, confusément attachante, orpheline, sa vie foutue... Je n'aurais pas eu, moi aussi, ma vie majoritaire devant moi, j'aurais volontiers proposé ma vieille carcasse pour la remplacer dans la geôle. Elle aurait dû crever avec son compagnon, en apothéose destructrice. La grosse machine judiciaire, puis pénitentiaire aura raison de sa pureté. Florence, elle se prénomme. Chère Florence, tu es une criminelle, certes, tu as éliminé d'innocentes personnes et désespéré des familles, mais je décèle une humanité éperdue dans tes yeux. Pauvre de toi, décalée dans l'univers.

Acte II : Incandescence du Temple solaire. La secte de Luc Jouret donne à plus d'une cinquantaine de ses adeptes le repos éternel. Plus de chaos terrien, plus de décadence humaine, la libération du corps encombrant. La méthode du suicide ou de l'exécution importe peu. Le système de Jouret et de son financier, probablement pour de douteuses raisons, a poussé la communion jusqu'à la luminosité extrême : deux chalets en flammes en Suisse et un bâtiment au Canada. Comment juger cette intelligence et ce diabolisme du charismatique fondateur ?

Lundi 10 octobre
Je m'en retourne vers ma répulsive Lutèce. Avant, petit détour ferroviaire par Chaulnes pour remettre un pli à Hermione.
Samedi, grosse dépense physique à Amiens, rue Octave Tierce, pour déménager archives et ameublement avant que cette maison ne soit vendue. Gros camion loué par Karl, deux aller-retour Amiens-Chaulnes avant de regagner nos terres.
Alice est la propriétaire en titre de cet immeuble. Elle encaissera l’argent de la vente, mais ne se risquera pas, je l'espère pour elle, à conserver l'intégralité, ou à ne céder que quelques picaillons à son papa.
Les deux salauds et la détraquée m'entendront bientôt. Je ne peux continuer à bouillir sans réagir. Quelles que soient mes incompétences et mes faiblesses congénitales, je n'ai fuit devant aucune conséquence de mes responsabilités. J'assumerai jusqu'au bout, jusqu'à ce que peines s'en suivent, non sans me défoncer les tripes pour ma défense.
Voyez le tableau :
Petite incongruité vicieuse, Rentrop m'a enfoncé 350 nanars éditoriaux dans le fion. Avec sa bande de pisseuses, Molès et Poulanica en tête de proue, ils ont saboté le travail. Rentrop était au courant de mes angoisses de chef d'entreprise lors de nos rencontres parisiennes au restaurant Le Tourville. Les tableaux que je dressais explicitaient le drame, mais, pauvre couillon que j'étais, je n'en tirais pas plus qu’un rôle informatif pour le directeur littéraire, la portion Rentrop. Sa responsabilité dans le naufrage de la seru est importante et déterminante. Au procès de Molès contre ma société, le minable n'a même pas eu l'honnêteté élémentaire de rédiger correctement son témoignage. C'est moi, avec peu de sommeil, rien dans le ventre, pressé par le temps, qui suis allé au front. N'empêche que la Molès et son suiffeux avocat se sont fait sacrément rabougrir leurs fantasmagoriques réclamations : l'intégralité de leurs chefs de demandes est rejeté, et ils sont condamnés aux dépens. Alors merde à tous ces connards que nous avons nourris pendant des années.
Leborgne, le protecteur d’Alice, dadais mou, indisposant, entre le puant Doc de Fun radio version de Caunes et le gentil Fernandel, talent en moins. Il a grassement coulé ses jours, sans jamais développer le secteur commercial, défini comme essentiel pour que la commercialité de la seru soit possible. Rien n'a percé. Le convivial et joyeux bonhomme préférait sans doute les profusions malsaines et puanteurs étourdissantes des conversations avec Alice.
Les deux compères figuraient dans le capital de la société et s'y étaient vu offrir des postes importants. Ma propre immaturité nappant le tableau, le trésor que Heïm nous avait laissé n'a pas mis longtemps à se transmuer en fiente. Moi j'assume, Rentrop et Leborgne ricanent. Pas pour longtemps, les gaillards. Si les coups fourrés se poursuivent, je mettrais toute ma détermination à leur faire cracher leurs biens via les ascendants. Le grand et le petit baigneront dans leur fange.
Et Alice... pour qui j'ai endossé la faillite de la Sebm et ses millions de dettes. La voilà de plus en plus timbrée avec les jours qui passent. Délire systématisé avec sentiment de persécution comme le définit Heïm. Cela ne l'excuse pas pour autant. Ignominie ou pas chez elle ? Cauchemardesque perdition, sans aucun doute. Elle aussi devra se méfier, car les scrupules, même fraternels, ont, eux aussi, des limites.

Samedi 22 octobre
Atterré, je suis atterré ! Impossible de rester une minute de plus devant la nouvelle émission de Christian Spitz, alias le Doc, avec ses pitoyables compères. Après la génération des potes, on nous gratine d'une caste plus intolérable encore. Ineptie, débilité, inculture en couches, néant existentiel : pourquoi donne-t-on la parole aux pires, aux innommables branleurs ?
L'insondable bêtise régnait déjà sur les ondes de la fm et voilà qu'elle s'érige comme référence à la télévision. Je suis trop choqué par cette médiocrité généralisée pour être vraiment pamphlétaire. Un seul type de réaction, déraisonnable j'en conviens, pourrait encore me motiver : le défoulement physique contre ces bruyants encombreurs, Doc et sa clique en tête de proue. A quel stade de décadence démagogique ou commerciale est-on parvenu pour laisser s'exprimer des nullités pareilles qui monopolisent les techniques de communication ?

Mardi 1er novembre
Toussaint. Encore une crasse à ajouter au couple Leborgne le grand dadais et Alice la petite teigne.
Dimanche soir, je me rends avec Karl et Hermione au 10 rue Roger Salengro à Chaulnes, pour quelques vérifications. Stupeur : une pièce vidée de l'intégralité de son mobilier, le stock Histodif déménagé, les ordinateurs nettoyés des éléments de comptabilité et de facturation.
Nos soupçons d’un détournement d'activité et d’une vente illicite d'ouvrages libellés seru se confirment. Les gredins n'ont prévenu ni la famille, ni certains de leurs employés et collaborateurs. Une fuite en catimini, la Land Rover bourrée des éléments de leurs méfaits. J'appelle Heïm, désespéré et furieux, et nous convenons de ma visite impromptue chez Leborgne, à Misery.
Si une agressivité évidente émane de l'un ou de l'autre, je suis déterminé à rentrer dans le lard du grand tout mou et à gifler ma délirante sœur.
Karl me conduit dans la bourgade, un pistolet à balles en caoutchouc à l'arrière, comme éventuelle force de couverture. Nous nous arrêtons devant une grosse maison bourgeoise éclairée. Je sonne à la grille. Alice apparaît et semble inquiète de me trouver là (elle m'avouera qu'elle l'était en effet, preuve d'une conscience déviante).
De 23h30 à 2h30 du matin, longue conversation à trois dans leur salon-salle-à-manger. Je suis là pour avoir un éclairage sur leurs agissements et pour les prévenir de mon attitude, si leur malhonnêteté se confirme. J'emploierai tous les moyens juridiques à disposition pour faire cracher Michel, ses ascendants, etc.
Pendant ces quelques heures d'échanges, où le ton monte à trois reprises entre Alice et moi, je ne laisse entrevoir aucune complicité, dégoûté au tréfonds par ces deux irresponsables impunis. Ahurissants, les longs soliloques de Alice, presque jouissive d'être un emmerdement pour sa famille, tout en se défendant d'une quelconque volonté de nuire, et prétendant (comble du délire !) porter en elle les attributs heïmiens.
Navrant Leborgne : drogué, groggy, séduit par le discours chiantissime de sa maîtresse-à-penser, il tourne son gros index dans une boucle et semble se laisser aller à un début de nanan. Le spectacle est fascinant, et je reste froid, concentrant dans mes regards tournés vers Alice le profond écœurement qu'elle m'inspire.
Cette visite n'a pas été utile à grand chose, si ce n'est à tester mes propres convictions. Les quelques gorgées de cognac et de whisky prises avant mon départ n'ont pas permis d'éveiller en moi une quelconque truculence, tant les hôtes se sont révélés pitoyables.
Côté actualité, les juges français poursuivent leurs investigations terrorisantes dans les milieux politiques. Carignon est maintenu en prison, Longuet se trouve sur la sellette. Jusqu'à quel point les juges d'instruction confondront-ils équité d’un pays de droit et acharnements parcellaires, démesurés. A l'abus de biens sociaux qu'ils brandissent, nous pourrions leur opposer le détournement de pouvoir à des fins de jouissance personnelle. Le journalisme et la magistrature sont les deux dernières corporations intouchables dont il faudra un jour ausculter sans complaisance les usages.

Samedi 19 novembre
00h03. Je me résous enfin à prendre la plume. Les semaines se grillent, sans que je laisse le schéma des quelques cendres marquantes.
Point de lassitude, mais un relâchement malsain qu'il faut tordre dès maintenant. Les activités multiples que j'ai décidé d'assumer ne peuvent tolérer une quelconque zone de mou.

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