Avril

Samedi 2 avril
Balladur n'a pas résisté aux gueulantes des jeunes agités. Les démocrasses ne peuvent plus rien faire à la tête d'un régime mou. Incapable de mater les vandales et les voyous déterminés au destroy de ce qui est à leur portée, incapable d'imposer ses vues à une jeunesse en quête d'un avenir fort et sécurisant, ce gouvernement liquéfié va barboter jusqu'aux élections présidentielles, ne se risquant pas aux grands coups de latte dans le fondement dont a besoin notre société.
Les guérilleros urbains n'ont eu aucune pitié avec les commerçants, détruisant, saccageant, pillant à tout va. S'ils avaient pu posséder des armes, ils n'auraient pas hésité à s'offrir quelques cadavres. Quand quelqu'un a passé toute son existence, au prix d'une trime quotidienne, faite d'abnégation et de courage, à construire quelque chose qui est réduit en poussières en cinq minutes par des voyous sans foi ni loi, il a le droit de mettre un terme à leurs exactions.

La sécurité intérieure est actuellement incarnée par le maître de l’esbroufe Pasqua qui laisse ses troupes, sans ordre de réplique, assister aux destructions. Mais dans quelle espèce de déliquescence généralisée vivons-nous donc ? Même l'Etat n'assure plus son devoir d'assistance et de protection à ses ouailles agressées. Comment refuser alors aux victimes de s'armer pour, la prochaine fois, faire face aux gredins ? On ne va pas accepter une terreur juvénile, alors que quelques commandos musclés suffiraient à les calmer pour de bon.
Le désordre illégitime m'irrite. Voilà pourquoi, ne pouvant compter que sur ma propre capacité d’autodéfense, je sors rarement sans une lame à cran d'arrêt. Si la circonstance est grave, dramatique et que je peux agir, je n'hésiterais pas à m’opposer à un agresseur, quitte à y rester moi-même ou à moisir en taule. Après ce que j'ai enduré, je ne place plus mon existence au-dessus de toute autre considération. Vivre certes, mais pas à n'importe quel prix. Je connais la pleutrerie qui sommeille en moi, la faiblesse congénitale qui me ronge, mais je sais aussi qu'un germe de violence existe dans mes fibres et que les restes de mon éthique me la feront mettre au service de mon bien ou du bien des êtres qui me sont chers. En cela, je n'ai pas l'âme catholique chrétienne.


Lundi 4 avril
Je suis au château d'Au. Fin d'après-midi : le ciel a la noirceur des temps cataclysmiques et le vent tempête : sordide.
Terrifiante journée. Sans l'intervention de Karl en larmes, Heïm se faisait sauter la cervelle. Alice, par ses propos et l'absence de lucidité globalisante, a placé Heïm dans une situation sans issue où l'honneur conduisait à la mort. L'atroce aurait été incommen­surable.
Nous n'allons pas bien du tout. Heïm, en danger de mort permanent, rongé par des douleurs physiques que jamais il ne laisse paraître, assiste, impuissant, aux déchéances individuelles, chacun s'interrogeant sur le sens de cette vie collective. Alice a énormément changé psychologiquement, et ses jugements sont d'un incisif que Heïm, par sa personnalité de révolté absolu et d'homme d'honneur, ne peut accepter. Face à Karl et moi, Heïm est fort heureusement revenu sur sa décision et, Alice poursuivant ses raisonnements, il s'est limité à donner une grande claque à sa fille.
Au lieu de prendre son indépendance avec un esprit constructif et dans la gentillesse, on sent gronder dans les fibres de Alice une volonté de rupture brutale, donc néfaste pour toute la famille.
Elle est pour Heïm l'être le plus précieux qu'il ait. Elle ne peut pas ne pas le prendre en compte dans ses actes et dans ses paroles.
Je ne laisse ici émerger que l'événement, sans procéder à l'étalage de tous les faits et de tous les cheminements intellectuels qui ont conduit à ce drame paroxystique. Ecrire tout ça reste pour moi extrêmement difficile, car je suis impliqué de toute mon existence et de toute ma constitution.
Le temps est curieux. De mon lit, je vois les arbres revenus à un balancement raisonnable se détachant sur le ciel nouvellement bleu.


Mardi 5 avril
Je griffonne ces lignes avec quelques verres de rouge et de champagne dans le gosier. Pardon pour la possible confusion dans l'expression.
Fabuleux repas de réconciliation avec Heïm. L'horreur vécue hier provoque chez Karl et moi l'épidermique instinct de la sincérité : l'immesurable affection et attachement que nous portons à Heïm. Alice, sous Valium, persiste, tel un iceberg incendiaire.
Nos larmes ont immédiatement désamorcé l'atroce processus. Heïm nous a témoigné sa reconnaissance infinie. Se brûler la cervelle pour un médicament mal ingurgité aurait été un effroyable gâchis, et une tragédie irréparable pour toute la famille.


Samedi 9 avril
Jeudi dernier la télévision, toutes chaînes confondues, s'est mobilisée contre le sida. De 20h50 à 3h du matin, autour du duo Dechavanne-Mitterrand (Frédéric), « vous saurez tout, tout, tout, vous saurez tout sur le » terrible syndrome. Acteurs, chanteurs, animateurs : tous gravitaient autour des témoins et des victimes du fléau.
Dans le bus n°48 qui m'amenait de la Porte de Vanve à la Gare du Nord, je dévisageais des dizaines, des centaines de bouilles. Parmi elles, quelques demoiselles émouvantes par leur beauté qui, peut-être, en pleine jeunesse, sont ou seront frappées par le mal.
Le Pen avait été le premier politique en France à alarmer la population sur la gravité du virus. Aujourd'hui, même les plus gauchards bouffent du plastique, protégeant, avec un érotisme directos issu du supermarket, leurs parties plus très génitales.


Dimanche 10 avril
Les journalistes, chefs de rédaction ou dirigeants de journaux nationaux, ont laissé transparaître, hier dans la nuit, une (encore) plus détestable image de leur manière d'être et de penser.
Revue de presse sur le petit écran. Premier sujet : le suicide de Grossouvre à l'Elysée, petit personnage émacié, à la tête oblongue et à la barbe coupée courte, accessoirement ami intime de Fanfan mité. La troupe journalistique nous saoule plus de trente minutes sur les tenants et les aboutissants du drame. Chacun y va de sa subtilité light, de ses incontinentes analyses, de sa conception faussement moralisée du rôle qu'ils doivent tenir, les coquins et les malins. Indigestes rogatons rotés à la queue leu leu... Après Pelat et Bérégovoy, Fanfan se retrouve bien démuni.


Samedi 16 avril
Avant de partir à Au, revu, dans un café près du Panthéon, la studieuse Aline L. Bientôt avocate, elle a atteint son allure de femme, conservant son hypersensibilité. Charmant moment en sa compagnie. Conversation à bâtons rompus. Elle a su maîtriser ses penchants pour la fête et l'amusement, afin de réaliser son ambition.
Tous ces avenirs qui se dessinent paisiblement : travail, argent, amour, loisirs, amis, voyages... Moi, je ne sais ce que seront mes lendemains. On ne peut m'accuser de conformisme et moins encore de suivre une voie conventionnelle. Force des choses plus qu'intention préméditée.
Nouvelle illustration de l'ivresse sanguinaire qui catapulte un peuple vers l'âge de la barbarie : le Rwanda s'égorge, se bute, s'écharpe, entretenant la puanteur âcre du jus répandu et des corps dégingandés qui jonchent la terre. Le printemps a des couleurs cadavériques.


Mardi 19 avril
L'Onu vient, encore une fois, de nous démontrer sa totale incapacité à faire respecter ses décisions. Même plus un grand machin, juste un petit, un tout petit truc crotté. Les politiques occidentaux s'étaient gonflés de fierté lors de la si tardive intervention pour arrêter le dépeçage de Sarajevo. Avec quelques raids ridicules d'avions bleus, on se croyait invulnérable, ponte du Droit international. Foutaise de technocrates à l'intellect sclérosé par tant d'ineptes procédures pour envisager un numéro de résolution à expédier au plus vite dans les fosses onusiennes.
L'Onu est plus que jamais le repère de l'intellectualisme stérile, des principes pour la bonne parole, des escrocs de l'action politique. Rien, nenni, que dalle, peau de zob. Gorazde, ville musulmane de la feue Yougoslavie, est en cours d'extermination, de réduction en cendre, d'anéantissement par la pisserie du sang d'innocents. Les casques bleus lacèrent leur béret, désespérés que leurs responsables les aient à ce point castrés. Les Serbes massacrent allègrement, jouant le jeu de la guerre à plein. Les instances, gavées de crédits pour faire respecter une prétendue justice internationale, se désolent dans de confortables antichambres. Lamentable d'abjection.
Alors qu'un vrai crime de guerre est en cours d'achèvement, nous, les Français, nous jugeons Paul Touvier, proclamé assassin de l'humanité ! Là on est sévère, impitoyable face à un vieillard adoré par sa famille. La démonstration est faite que plus rien ne fonctionne correctement dans ce monde : Koweït protégé, Yougoslavie bradée. Ordures de politiques, raclures dignes de leur pseudo-légalité !
Notre ventre mou contre les Allemands, lors de la Seconde Guerre mondiale, nous étonne presque aujourd'hui, mais nous n'avons en rien évolué. Une petite faction serbe, pour reprendre les armes qu'elle a placées sous le contrôle de la Forpronu, peut mener ses tueries sans être inquiétée.
Lucide Juppé : « Il n'y a pas de solution militaire dans le conflit ». Mais si, glabre ministre, il y en a une... pour les Serbes ! Mais bon dieu ! ceux qui détiennent les pouvoirs militaires blablatent sans mesure prendre. On va attendre quoi ? Que les Serbes nous envoient dans de beaux paquets des têtes tranchées de casques bleus ? Encore une aberration : Juppé veut une réunion des grandes nations pour adopter une énième position de principe qu'il faudra imposer... mais avec quoi ? La valise diplomatique ?


Mercredi 27 avril
Pathétisme amer ce soir. Vu un film de Serge Moati en hommage à Pierre Bérégovoy le Juste, suicidé. A l'époque, quand j'appris la nouvelle, je roucoulais avec ma douce Kate dans le Grand Hôtel de Cabourg où nous avions décidé de passer un week-end prolongé. A nuitée, découvrant en voiture les beautés alentour, je gardais au fond de la gorge un étrange relent de dégoût pour la clique médiatique, qui enterrait hier et aujourd'hui encense le Premier Ministre. Pour l'homme Bérégovoy, sensible jusqu'à la moelle, je ruminais l'impression confuse d'un magistral gâchis. Ce petit homme, si anodin à première vue, cachait probablement une loyauté trempée qui, au-delà d'une compétence sans cesse améliorée par sa remise en cause quotidienne, alliait sa survie au sens de l'honneur. Homme de gauche je sais, mais je reste profondément ému de cette intime tragédie.
Certainement que mes doutes face à l'infernale déliquescence des affaires professionnelles, face à l’influence néfaste de ma relation avec Kate, face à cette fragile et courte parenthèse dans mes tourments aux portes de Deauville, ont cristallisé plus encore mon désarroi.

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